Les Hommes du Grand Nord « Men of the High North » Ballads of a Cheechako (1909)
Écrit par le Barde du Yukon Robert W. Service (1874-1958), sous le titre original « Men of the High North », ce poème a été publié dans le second recueil de poésie Ballades of a Cheechako en 1909, peu après l’immense succès du livre de poésie Songs of a Sourdough qui l’a révélé au public bien au-delà des frontières du Grand Nord. Inspiré du patois indien Chinook, le mot cheechako désigne un nouvel arrivant au Yukon.
La balade, Les Hommes du Grand Nord, s’apparente à un hymne célébrant la bravoure des pionniers, prospecteurs, et explorateurs des terres du Nord-Ouest canadien. Reprenant le thème de l’appel de la Nature, le poème décrit avec des accents lyriques le lien unissant les hommes et les animaux symbolisant le Grand Nord: huskies, grizzlis, loups et orignaux vivants en harmonie avec la nature.
Cette longue ballade magnifie l’amour indéfectible d’hommes pour cette contrée lointaine peu accueillante et sauvage, mais qui pourtant les a envoutés. Les forêts boréales, les impétueuses rivières et les montagnes aux neiges éternelles sont ici humanisées. La terre du Grand Nord inhospitalière leur a infligé les pires blessures et infidélités, obligeant ces hommes à se battre pour survivre, à prouver leur courage et leur force de caractère.
Cette terre est conquise par la ténacité de ces hommes solitaires, enfants de la liberté faisant fi des conventions et des frontières. À la dernière strophe, la terre du Grand Nord se donne à eux en un amour éternel. Le poème fait allusion à la grande épopée de la Ruée vers l’Or débutée en 1896 qui bouleversa la quiétude solitaire du Yukon. La fièvre de l’or a progressivement migré vers la pointe de l’Alaska avant de s’éteindre, mais de nombreux aventuriers s’enracinèrent malgré tout sur les terres du Grand Nord.
Ces hommes venus de tous horizons ont tout abandonné, espérant découvrir le filon d’or qui les enrichira. Certains y ont trouvé la fortune, beaucoup y ont perdu la vie; quant à ceux restés au Yukon n’étaient-ils pas aussi en quête d’eux-mêmes ?
Ces hommes ont croisé leur destin sur les terres du Grand Nord.
« Hommes du Grand Nord, le ciel tempétueux s’enflamme; Des îles opalescentes flottent sur des mers argentées; Des splendeurs éphémères s’allument, barbares, étonnantes; Des ports d’ambre pâle, des Galions dorés. Les fiers sommets nous entourant s’embrasent; Chefs féroces tenant conseil, sous le wigwam du ciel; Loin, loin au-dessous de nous, miroitant comme du vif argent; Le grand Yukon luit à nos yeux.
Hommes du Grand Nord, vous qui avez connu cette terre; Dont la beauté a conquis vos cœurs; Pouvez-vous la rejeter, pouvez-vous l’abandonner ? Pouvez-vous oublier ses splendeurs et ses défis ? Où sont les épreuves, où sont les souffrances qu’elle vous a infligées ? Oubliées dans les limbes avec tous vos souvenirs; Seuls subsistent le courage et l’expérience; La rage de vivre, et, ô mon Dieu, comme vous avez lutté !
Toi qui as fait fortune, toi qui t’en es tiré; Le maléfice de l’or est maintenant parti vers les terres arctiques; Mais peux-tu oublier ces jours de grandes bravoures, Avec ton âme, ici, sur le Sommet du Monde ? Et ces nuits quand aucun danger n’aurait pu troubler ton repos; L’épicéa t’offrant ses branches pour te coucher dans la neige; Pendant que tu savourais tes maigres festins de bacon et de haricots; Mijotés sur le feu de camp par quarante degrés au-dessous de zéro ?
Te rappelles-tu tes huskies bondissants, Aboyant d’allégresse, leurs fourrures ébouriffées; Et toi dans ta pelisse, le regard brillant de plaisir, Souverain, le loup et l’ours ne sont-ils pas tes sujets ? Monarque, d’une terre éblouissante et vierge; Des montagnes pour trône et une rivière pour attelage; Le brame d’un orignal t’éveillant du royaume des rêves; La forêt pour abri et une étoile pour bougie.
Vous que la terre du Grand Nord a ensorcelés dès le premier jour; Par son immensité, sereine et teintée de mélancolie; Vous que rien ne peut abattre, acharnés, les lèvres serrées, Intrépides face au danger et désespérés dans l’échec: Honorez toujours et toujours la terre du Grand Nord, Qu’elle vous couronne, ou vous fasse périr; Acceptez sa fureur, chérissez-la et aimez la – Celui qui prétendra la dominer devra d’abord apprendre à lui obéir.
Hommes du Grand Nord, les montagnes sauvages vous aiment; Les impétueuses rivières écument quand vous chevauchez leur flot. Voyez, le ciel bienveillant, songeur au-dessus de vous, Vous offrant ses étoiles pour bénir votre repos, Fils de la Liberté, méprisant les frontières, Nous qui sommes faibles, saluons votre force. Seigneurs des terres sauvages, Princes des Pionniers, Que l’hymne de vos cœurs ardents résonne aux confins de la terre. »
Les Hommes du Grand Nord (titre original « Men of the High North ») Ballades of a Cheechako (1909)
© traduction en français par charlotte Service-Longépé, publiée dans « A Grain of Sand » Pavillon Neuf Private Press, Copenhagen